PEEXNAC Gestion d'une espèce nouvellement exploitée : la noisette de mer

Mieux connaître la biologie de la noisette de mer afin de soutenir la profession dans la prise de décision pour des mesures de gestion assurant la durabilité de l’exploitation.

Résumé du projet

Les petits métiers méditerranéens exploitent un nouveau petit coquillage, la nasse changeante (Tritia mutabilis), commercialement appelé noisette de mer. Il est exploité à l’aide de paniers généralement mis à l’eau pour une durée de 24 à 48h avant d’être relevés. Ce nouveau métier se pratique principalement l’hiver et au printemps.

Depuis 2011, le nombre de professionnels effectuant ce métier a fortement augmenté. A dire d’acteurs, il s’agit en effet d’un métier « facile » et qui se pratique à une saison où les autres ressources sont parfois moindres. Dès 2015, des adhérents de l’OP du Sud ont contacté le Cépralmar afin d’essayer de mettre en place des mesures de gestion. La crainte était de surexploiter cette nouvelle ressource comme cela a pu être le cas avec la telline par le passé. C’est ainsi qu’un premier projet fut mené en 2016-2017 afin d’acquérir un peu d’informations sur les débarquements (saisonnalité, distribution en taille…), tester quelques mesures de gestion (changement de maille et table de tri) et débuter un travail de communication sur le produit. Un voyage d’étude fut également mené en Emilie Romagne afin de mieux comprendre les modalités de gestion mises en place par les professionnels italiens.

Suite à ces premiers travaux, les discussions pour la mise en place d’une gestion à l’initiative des professionnels étaient limitées en raison de l’absence de connaissance sur la biologie de cette espèce, notamment les données de reproduction et de croissance sur le Golfe du Lion. Afin d’y répondre, le Cépralmar et l’OP du Sud ont mis en place le projet PEEXNAC avec le soutien financier de l’Union Européenne (Feamp : mesure 28 partenariat pêcheurs-scientifiques), l’Etat et France Filière Pêche.

Objectifs

A travers une collaboration entre pêcheurs et scientifiques, le projet PEEXNAC ambitionnait de réaliser un état de l’art de la connaissance sur Tritia mutabilis, et plus particulièrement de caractériser la reproduction et la croissance de la noisette de mer sur nos côtes. Il visait également à en apprendre davantage sur son régime alimentaire et son comportement.

Méthodologie

Pour répondre à toutes ces questions, des échantillonnages ont été mené 2 fois par mois pendant 2 ans sur 3 secteurs de pêche (Port-St-Louis/les Saintes, le Grau du Roi, le Grau d’Agde) à l’aide de professionnels volontaires. Ces derniers ont inclus dans leurs filières 5 paniers à petites mailles (5 mm au lieu de 10 mm) afin de capturer une image représentative de la population, y compris les plus petits individus.

Des sous-échantillons ont été prélevé chaque mois permettant de mener des dissections afin de déterminer le sexe des individus, ainsi qu’un travail d’histologie pour évaluer le stade de maturité sexuelle. Des individus ont également été placé en bassins pour évaluer le potentiel de reproduction. Par ailleurs, chaque quinzaine, 200 individus ont été mesuré au pied à coulisse électronique pour déterminer sa longueur. Un travail de modélisation a alors été conduit pour évaluer la croissance. Troisièmement, afin d’en apprendre davantage sur l’écologie de cette espèce (notamment son régime alimentaire), une analyse isotopique a été menée afin de déterminer la position de la noisette de mer dans les réseaux trophiques.

Enfin, différents essais comportementaux ont été réalisés en bassin. Il s’agissait plus spécifiquement de tests d’enfouissement et de déplacements alimentaires.

Résultats

Les analyses histologiques indiquent que cette espèce est très probablement gonochorique (et non protandre comme cela était supposé) puisque d’une part les gonades mâles et femelles n’ont jamais été retrouvées simultanément dans nos échantillons, et d’autre part des petites femelles (14 mm) et de grands mâles (27 mm) ont été observés. En outre, le sex-ratio était toujours équilibré durant la période de reproduction. Enfin, ces travaux déterminent une taille de première maturité à 17,5 mm pour les mâles et 24,4 mm pour les femelles.

Concernant la différentiation sexuelle, la multiplication des cellules souches survient chez des individus de taille inférieure à 14 mm. Cependant, la faiblesse des échantillons entre 6 et 14 mm ne permet pas d’identifier avec certitude à quelle taille la différentiation sexuelle démarre. Le manque de petits individus dans les engins de pêche pourrait résulter du fait que les appâts utilisés sont moins attractifs pour les petits que pour les gros.

Les travaux préliminaires sur la capacité reproductive laissent penser que les plus jeunes femelles (25-30mm) ont un potentiel reproducteur supérieur (proportion de femelles pondeuses plus important ; nombre plus élevé de capsules véligères émis) aux plus grosses femelles (30-40mm). Malgré tout, ce résultat est à prendre avec précaution, le nombre d’individus étant limité. Des observations à plus large échelle sont nécessaires pour le confirmer. En outre, ces expérimentations n’ont pas été réalisées en milieu naturel. Bien que les conditions environnementales de température et de salinité aient été respectées, les manipulations peuvent avoir un impact sur le comportement des individus (ponte de stress, etc…).

A partir de l’analyse des fréquences de longueurs de l’ensemble de ces individus (routine ELEFAN) pour la période 2019-2020, le meilleur modèle de croissance (i.e. avec le meilleur score d’ajustement et donnant une date de recrutement correspondant à la période de reproduction de l’espèce) a été obtenu avec un arrêt total de croissance hivernale.

Les nasses atteindraient ainsi environ 12 cm la première année, 21 cm la deuxième année, et 27 cm la troisième année. La maturité sexuelle serait donc atteinte en moyenne à 1,6 ans pour les mâles et à 2,5 ans pour les femelles, sur la base des tailles à la première maturité sexuelle identifiées en partie 1, et publiées par Mallet et al. (2021; 14,5 cm pour les mâles et 24,4 cm pour les femelles).

La courbe de croissance obtenue donne une bonne idée de la croissance moyenne des nasses, tous sexes confondus. Mais il reste à mieux comprendre la différence de vitesse de croissance et de durée de vie des 2 sexes séparés. Le sexage a posteriori de 2000 individus n’a pas été suffisant pour pouvoir obtenir des résultats de modélisation fiable. Il a permis cependant de mettre en évidence un dimorphisme sexuel chez cette espèce, les femelles atteignant des tailles plus grosses que les mâles.

Les différences observées pour δ15N pourraient indiquer que les individus plus grands pourraient suivre un régime alimentaire qui ne comprend pas seulement des animaux morts comme proies, puisque cette espèce est un charognard, mais aussi des éléments alimentaires à des niveaux trophiques inférieurs, probablement de la matière organique sédimentaire et des détritus.

Les résultats concernant les analyses de l’espace isotopique (niche) montrent qu’il existe des changements de régime alimentaire en fonction du contexte environnemental (Rossi et al 20015). Les juvéniles recherchent activement des sources de nourriture, alors que les adultes semblent être des charognards opportunistes (comme décrit dans la littérature), mais sont enfouis dans les sédiments la plupart du temps. De plus, les expériences ont été menées au printemps. Il est possible que les individus sélectionnés pour les tests de comportement soient des spécimens déjà reproduits et donc en repos physiologique. En effet, la réduction de l’alimentation avec le début de la reproduction, comme nous l’avons observé pour Buccinum undatum, a été observée pour d’autres gastéropodes (Feare, 1970 ; Stickle, 1973).

Les tests réalisés montrent que les nasses s’enfouissent de façon variable selon la température de l’eau. Si la température est trop faible (12,5°C), les individus s’enfouissent relativement profond dans le sédiment entre 3 et 4 cm de la surface. A des températures plus élevées, les nasses sont en surface. Nous pouvons supposer qu’une eau autour de 19°C est optimale pour cette espèce.

Conclusion

Les 4 années de projet ont permis des avancées significatives sur la biologie et l’écologie de la noisette de mer. En premier lieu, cette espèce n’est pas protandre mais à sexes séparés. Suite à un accouplement en hiver, les femelles pondent un nombre variable de capsules véligères contenant chacune en moyenne 15 œufs. Après éclosion, les individus éclos font de 2 à 4 mm. Carnivores opportunistes, les juvéniles entament leur croissance. Les individus mâles seront matures à 17,5 mm durant leur 2ème année de vie, les femelles à 24,4 mm l’année suivante.

La croissance moyenne de la noisette de mer est relativement lente. Durant l’hiver, elle est nulle ou ralentie, l’énergie étant essentiellement utilisée pour la reproduction. Les femelles atteignent des tailles supérieures aux mâles. L’absence de sexage sur l’ensemble des échantillons prélevés chaque quinzaine n’a malheureusement pas permis de définir si cet écart est lié à une croissance plus rapide et/ou une durée de vie plus longue des noisettes de mer femelles.

Afin d’assurer son développement, l’analyse isotopique suggère que la noisette de mer adopte un régime préférentiellement charognard ou carnivore durant la première partie de leur vie. En vieillissant, elles consomment majoritairement des aliments de bas niveau trophique, tels que des détritus ou des algues. Ce résultat semble cohérent avec les tests de comportement. Les études comportementales en bassin ont également confirmé que les noisettes de mer passent la plus grande partie du temps enfouie dans le sédiment, ne laissant apparaître que leur siphon. L’enfouissement est d’autant plus important que l’eau est froide. L’optimum thermique est autour de 19°C. L’ensemble de ces résultats peuvent expliquer une moindre capturabilité en période estivale, puisque les besoins énergétiques sont moindres et la nourriture de bas niveau trophique abondante.

Perspectives

Les travaux du projet PEEXNAC ont permis de définir les bases théoriques d’une gestion et d’engager la profession dans la démarche. Ces discussions sont toujours en cours à l’issue du projet. Il semble également indispensable de poursuivre un suivi des captures tout au long de la saison de pêche et un suivi standardisé une fois par an. Ces suivis sont indispensables pour évaluer l’amélioration ou la dégradation de l’état des stocks de noisette. Il permettra à la profession de prendre des mesures éclairées suivant l’évolution et d’évaluer l’impact des outils de gestion qu’elle pourrait mettre en place.

Thématique du projet

Connaissance des ressources et des écosystèmes

Statut du projet

Terminé : 02/01/2018 - 31/12/2021

Porteur du projet

CépralmarCépralmar

Partenaire

OP du SudOP du Sud

Financeurs

France Filière PêcheFrance Filière Pêche

Union Européenne - FEAMPUnion Européenne - FEAMP

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