Etude du processus de recyclage et d'enfouissement du carbone dans les sédiments marins et détermination de l'impact des engins de fonds trainants sur le cycle naturel du carbone en milieu marin
Résumé du projet
L’Union des Armateurs à la Pêche de France (UAPF) a obtenu de France Filière Pêche (FFP) un co-financement pour réaliser un état de l’art des connaissances existantes sur l’impact du chalutage de fond sur le cycle du carbone sur les plateaux continentaux, qui a été réalisé par le Laboratoire des Sciences, du Climat et de l’Environnement (LSCE), et à la suite pour esquisser sous sa propre responsabilité les termes d’une réflexion sur les moyens de gérer cet impact s’il se révélait significatif.
Cette étude fait suite au constat d’une attention sans cesse croissante sur le rôle de l’Océan et sur les sources d’émissions de CO2 anthropiques « marines » (combustion carburant par les navires, nature des activités, etc.) dans le cadre du réchauffement climatique global. Dans ce contexte, de victime du réchauffement climatique, la pêche commerciale est maintenant suspectée de porter atteinte aux stocks de carbone océanique (et donc d’accroitre les effets et les conséquences du réchauffement). Entre autres :
- Le sujet de la contribution des vertébrés marins au stockage du carbone organique émerge : en réduisant les biomasses des populations exploitées, la pêche commerciale réduirait in fine le flux de carbone enfoui dans les sédiments ;
- La pêche de fond à l’aide d’engins mobiles (chaluts et dragues) est suspectée plus récemment, et c’est le sujet de l’étude, d’induire une perturbation des sédiments, qui conduit à une reminéralisation importante du carbone organique, provoquant une émission nette de CO2 dans l’eau.
Ce « détournement » potentiel du stockage « naturel » du carbone organique des sédiments sous l’effet du chalutage a suscité récemment plusieurs publications, dont certaines ont conduit à des reprises médiatiques sensationnalistes.
Face à ces constats, l’UAPF a jugé qu’il était urgent d’initier une revue bibliographique sur le sujet avec l’appui du LSCE pour disposer d’éléments d’expertise sur les mécanismes qui affectent le devenir du carbone organique dans les sédiments. Ce travail a donc porté sur les connaissances scientifiques à date sur deux sujets très proches :
- Les mécanismes qui affectent le devenir du carbone organique dans les sédiments et qui mène au recyclage et à l’enfouissement du carbone organique, ainsi que le devenir dans la colonne d’eau du CO2 produit lors de ce recyclage ;
- Compte tenu de la nouveauté de l’émergence de la problématique, sur l’impact du chalutage de fond sur les capacités de recyclage et d’enfouissement du carbone dans les sédiments ainsi que sur le potentiel de recyclage dans les particules remises en suspension
Objectifs
L’objectif de l’étude entière était double :
- Permettre pédagogiquement aux professionnels de comprendre les phénomènes en jeu et de connaître ce qu’objectivement l’on peut dire de l’effet du chalutage et du dragage sur le carbone organique des sédiments (LSCE)
- Établir un premier bilan prospectif des enseignements à tirer de ces connaissances, en termes de gestion à venir des activités de chalutages et dragage (UAPF)
Résultats
Les conclusions de la revue bibliographique critique réalisée par le LSCE sont que si le chalutage affecte des mécanismes liés au cycle du carbone des plateaux continentaux (suspension, minéralisation, bioturbation, export), des effets antagonistes existent (certains créent des sources d’émission de carbone inorganique et d’autres des puits de captation de carbone organique) et que le manque d’études intégrées et la variabilité observée rendent impossible, en l’état actuel des connaissances, de quantifier l’effet net de la reminéralisation du carbone organique des sédiments qui est induit par le chalutage, et de même se prononcer sur l’existence à l’échelle globale d’un effet net significatif d’émission de CO2 sous l’effet de la resuspension des sédiments par le chalutage et le dragage.
Une revue critique de la littérature scientifique, initiée en parallèle, et dont nous n’avions pas connaissance lors de l’initiation de l’étude, et dorénavant publiée (Cf. EPSTEIN 2022 dans Global Change Biology), aboutit aux mêmes conclusions que la revue réalisée par le LSCE.
Malgré tout, compte tenu d’ordres de grandeurs des émissions de CO2 dans le milieu marin publiés, dont dans la publication de SALA (2021) qui avance que sous l’effet de la re-suspension des sédiments de 0,16 à 0,4 Gt de carbone sont émis par an au niveau mondial dans les océans (soit à peu de choses près un chiffre comparable aux flux de carbone organique qui est disponible annuellement pour l’enfouissement dans les sédiments et pour l’ensemble des fonds marins),
Et même si cet aspect de la publication de SALA est aujourd’hui contestée (Cf. HIDDINK 2023 – qui remarque que SALA ne tient aucun compte de la réactivité du carbone des sédiments superficiels : i.e. que la reminéralisation peut-être induite par les activités de pêche serait de toutes les manières intervenue),
Sans attendre de savoir qui dit vrai, l’UAPF a jugé utile d’examiner par quoi pourrait se traduire en termes de gestion et d‘aménagement des pêches, la réduction de cet impact, s’il était à l’avenir jugé déterminant.
Conclusion
Dans l’immédiat, a priori l’UAPF conclut que seules deux voies existeraient :
- La première s’appuie sur la possibilité de réduire drastiquement, et de manière générale, l’effort de pêche au chalut de fond et à la drague. Mais une telle orientation soulèverait plusieurs difficultés techniques et politiques de mise en œuvre, dont on voit mal comment elles pourraient être levées, sinon à réduire d’autant les productions des espèces capturées par les mêmes engins mobiles de fond, productions qui représentent un part très significative des produits de pêche consommés :
- Celle de savoir comment conserver des niveaux de production équivalents puisque la capturabilité de toutes les espèces n’est pas la même avec tous les engins de pêche ; ou pas au moins avec les mêmes rendements.
Exemple : Pourrait-on pêcher les mêmes tonnages de pectinidés autrement qu’à la drague ? Pourrait-on pêcher autant de cabillaud arctique que l’on en pêche (600.000 tonnes) à la palangre/ligne/filet ? Pour des pêcheries chalutières multi spécifiques, à l’évidence la composition des captures seraient totalement différentes après à une reconversion à des engins « dormants », et les productions de chacune des espèces également.
- Certainement celle d’une modification totale des droits de pêche qui ont été définis dans le contexte européen de pêcheries multimétiers/pavillons/juridictions et souvent plurispécifiques, qui bouleverserait l’importance relative des droits de pêche des États/communautés de pêcheurs : assurer cette transformation pour que les droits correspondent à de nouvelles pratiques est-il envisageable et atteignable ? Sans pour autant remettre en cause les limites de captures que chaque pavillon peut accepter ? Et en réunissant un consensus entre l’ensemble des parties intéressées, sans lequel il n’existerait plus de limites de captures communes consenties, ce qui rendrait toute gestion des pêches vaine ?
- Celles du changement des gammes d’espèces pêchées et de leurs conséquences sur les équilibres écosystémiques, et de l’apparition d’impacts environnementaux nouveaux qu’il ne serait pas toujours aisé de maitriser.
Exemple : usage des engins dormants génèrent parfois plus de captures accidentelles d’espèces protégées (oiseaux, mammifères, etc.) et qui du fait de la nature de la méthode (engins passifs) trouvent plus difficilement de solutions d’évitement.
- La seconde, qui consisterait à réduire de manière ciblée la pêche au chalut de fond et à la drague en ne l’interdisant que dans des certaines zones. Il est en effet tentant d’imaginer fermer des zones particulières où il existerait un fort enjeu de séquestration du carbone dans les sédiments.
Ce serait la voie semblant la plus raisonnable aux professionnels qui ont participé à la journée de restitution du 17 mai 2023, car circonstanciée.
Mais pourrait-elle l’être réellement ?
Indépendamment de la prise en compte d’enjeux économiques ou de préservation de niveaux de production existant :
- La revue du LSCE sur les connaissances publiées sur les effets du chalutage sur la minéralisation du carbone organique ne permet pas véritablement d’identifier l’existence de gradients (proche côtier/large, faibles profondeurs/fond plus importants, etc.) qui suggèrerait des zones à plus forts enjeux « carbone », indépendant de la répartition de l’intensité des pressions de pêche ;
D’ailleurs SALA (2021) propose de réduire les surfaces pêchées sans prioriser celles qui correspondraient à des stocks de carbone plus importants.
- En l’absence de zones identifiées à enjeu « carbone » élevé, comment arbitrer ? En fonction de l’importance de la production ou de la valeur de cette production ? Qui « sacrifier » ? Et sur quelle base pour qu’une fermeture de zones se traduise par un effet significatif global sur la reminéralisation du carbone organique et donc sur les émissions de carbone organique qui y seraient associées ?
- La plus forte teneur naturelle en carbone des sédiments fins pourrait suggérer une priorité. Mais en termes de gestion des stocks, cela serait-il pertinent de pêcher en fonction de la nature des fonds, plutôt qu’en fonction de l’aire de répartition des stocks et des droits liés à la juridiction des eaux ?
Perspectives
Dans un souci d’objectiver les constats et les solutions, et ainsi mieux pouvoir répondre aux critiques qui ne manqueront pas de se multiplier pour plaider l’abandon de l’emploi des engins de fond mobiles, outre une meilleure connaissance nécessaire des effets du chalutage sur les sédiments soulignés par le LSCE (*) et la nécessaire disponibilité d’une cartographie fine des sédiments et de leur teneur en carbone (et de son évolution), l’UAPF suggère :
- D’améliorer l’évaluation de la pression des engins mobiles sur les fonds marins et de sa localisation, notamment pour résoudre le problème pendant de l’hypothèse de répartition uniforme de l’effort dans les mailles à la base des estimations de pressions du CIEM (« C-squares ») ; et de réexaminer la cohérence des inférences « taille et puissance navires/métiers/dimension des engins » utilisées par défaut par le CIEM, (Cf. suites à donner à l’avis WKTRADE du CIEM)
- De disposer d’outils de simulation crédibles de l’effet de la fermeture de zones à la pêche sur les tonnages capturés et sur la dynamique des populations, en tenant compte de l’accessibilité géographique et temporelle des espèces (et donc de la répartition inégale des abondances spécifiques), et des droits de pêche et de leur « géographie », qui conditionnent les possibilités concrètes de captures, i.e du fait de contraintes économiques ou juridiques.
- Dépasser l’utilisation d’un critère de densité/dépendance par espèce/stock pour évaluer les effets de fermetures de pêche spatio-temporelles, en tenant compte de ces variabilités biologiques et de ces contraintes juridiques, est devenu absolument nécessaire.
Concernant cette perspective, des représentants d’IFREMER présents lors de la réunion de restitution du 17 mai 2023, se sont déclarés conscients de la nécessité de développer des approches « territorialisées », tout en rappelant la difficulté probable d’aboutir et en appelant à l’humilité au regard des limites de « la science ».
De manière très générale, l’UAPF a exprimé le souhait que se mettent en place au niveau français des recherches multidisciplinaires sur le sujet du carbone marin (qui va au-delà du seul sujet du carbone des sédiments) et qu’il existe une véritable implication des chercheurs français dans les travaux naissants et à venir du CIEM, ce qui lui semble le moyen de dépasser les polémiques nées de publications solitaires, en mobilisant une expertise collégiale.
Thématique du projet
Diminution de l’impact environnemental de la pêche
Statut du projet
Terminé : 01/01/2022 - 18/05/2023
Porteur du projet
UAPF
Financeur
France Filière Pêche