LANGOUSTES ROUGES

Programme de marquage de langoustes rouges pour l’amélioration des connaissances halieutiques relatives à ce stock (biologie et écologie du stock) et à sa pêche (contribution des différents métiers aux captures totales, zones de pêche) et sensibilisation des professionnels quant à l’objectif de reconquête du stock de langouste rouge et mise en place de partenariats pêcheurs-scientifiques.

Mots-clés : langouste rouge, évaluation des stocks, amélioration des connaissances, partenariats scientifiques-pêcheurs

Contexte

En Manche et en Atlantique, les débarquements de langouste rouge connaissent une diminution ininterrompue depuis près de 40 ans. Aujourd’hui, ces captures représentent annuellement 20 tonnes, bien inférieures aux 200 tonnes du début des années 1990 et des 500 tonnes du début des années 1960. Cette diminution est le fait de plusieurs paramètres, notamment une augmentation importante de l’effort de pêche (due notamment à un changement d’engins, avec passage du casier au filet dans les années 70) et une diminution de l’abondance, qui pourrait être liée à divers facteurs environnementaux. Récemment, les régions principalement concernées par les captures de langouste rouge sont la Bretagne, les Pays de Loire et le Poitou-Charentes.

La langouste rouge (Palinurus elephas) a un cycle de vie caractérisé notamment par une période larvaire longue, plusieurs mois, jusque 12 mois, ce qui rend particulièrement difficile la délimitation d’un stock et toute relation entre la biomasse féconde et les recrutements. Les résultats obtenus à partir d’analyses géniques à l’échelle européenne (Palero et al., 2008) indiquent une différenciation entre la Méditerranée et l’Atlantique. Dans cette dernière zone, l’Irlande et l’Ecosse semblent se distinguer du reste de la population. Un ensemble Manche et golfe de Gascogne semble exister. Cet ensemble correspond à la zone d’intérêt pour laquelle un travail cohérent peut être développé.

Depuis 10 ans des mesures de gestion ont été mises en place :

  • En 2007, les pêcheurs professionnels instaurent la mise en place d’un cantonnement sur la chaussée de Sein.
  • En 2009, ils décident d’augmenter la taille minimale de capture à 110 mm céphalothoracique afin de préserver la pêche de tous les individus immatures (la taille communautaire actuelle est de 95 mm).
  • En 2011, ils décident de fermer la pêche de la langouste rouge du 1er janvier au 31 mars sur l’ensemble du territoire national.
  • En 2015, cette fermeture de pêche est prolongée jusqu’au 31 mai pour les femelles grainées afin de permettre à celles-ci de lâcher leurs œufs.

L’intérêt économique et social exponentiel de la reconquête de la langouste rouge est au centre de ce dossier. Bien que les poissonneries ne mettent pratiquement jamais de langouste rouge à la vente et que le consommateur ne voie sur les étals que des langoustes exotiques, le chiffre d’affaire des langoustes pêchées en France avoisine le million d’euros. Ce qui est surprenant pour un si faible tonnage. La marge de progression est donc énorme.

Objectifs

  • Dans la continuité des actions menées ces dernières années par la profession sur le stock de langouste rouge de Manche et d’Atlantique en collaboration avec l’Ifremer, le programme vise à contribuer à l’amélioration des connaissances halieutiques relatives à ce stock (biologie et écologie du stock) et à sa pêche (contribution des différents métiers aux captures totales, zones de pêche) via des opérations de marquage/recapture et d’auto-échantillonnage, ainsi que des entretiens avec les professionnels impliqués dans la pêcherie. Par sa structuration, ce projet vise également à poursuivre la sensibilisation des professionnels quant à l’objectif de reconquête du stock de langouste rouge et les intégrer pleinement dans l’acquisition de connaissance, en confortant le partenariat avec les scientifiques sur les différentes actions menées.
  • A l’échelle Manche, golfe de Gascogne, très peu d’études ont été menées jusqu’à aujourd’hui pour améliorer les connaissances tant sur sa biologie que sur son écologie. Ainsi, la connectivité le long du littorale atlantique et au sein de la Manche n’est pas connue. Si elle existe, est-ce le fait de la dérive larvaire ou du déplacement des langoustes ? Les déplacements sont peu connus, même si les discussions avec de nombreux pêcheurs laissent présager qu’ils existent. Néanmoins, on ne peut pas les caractériser pour le moment : sont-ils saisonniers ou journaliers, sont-ils orientés dans une direction principale ? Peut-on parler de migration ? Les données sur la croissance de cette espèce sont également parcellaires, or cette connaissance est également primordiale dans le cadre de la gestion d’un stock. Les autres éléments primordiaux concernent les jeunes stades fixés de cette espèce, quel habitat, quelle profondeur, quelle saisonnalité, etc.
  • Les opérations de marquages-recaptures ont plusieurs objectifs : d’identifier les déplacements des langoustes, de pouvoir collecter des données de croissance (les marques restant fixées sur l’animal entre 2 mues). Les objectifs sont de pouvoir marquer des langoustes sur toute l’aire de répartition de la langouste (Manche et golfe de Gascogne) afin d’identifier ou non des différences de comportement entre les zones, des flux de migrations… L’auto- échantillonnage permettra d’accumuler un maximum de données biologiques sur les langoustes capturées. L’objectif est d’avoir des bateaux volontaires dans plusieurs zones et pratiquant différents métiers. Les données récoltées qui sont la taille du rostre, le sexe, la position GPS et la profondeur, permettront d’en savoir davantage sur la biologie de l’espèce. Enfin, en parallèle de ces données biologiques, le CDPMEM 29 engage un travail sur la sociologie de l’innovation afin de mieux appréhender les mécanismes sociologiques qui amèneront à la réussite de la reconquête du stock de langouste rouge par les professionnels. Ce travail de sociologie identifiera les points de blocage mais aussi les aspects innovant de cette démarche.

Méthodologie

Amélioration des connaissances halieutiques : biologie/écologie et pêche
Marquage/recapture de langoustes

Ce premier axe du programme a pour objectif d’acquérir des données sur les déplacements spatiotemporels et la croissance de l’espèce, grâce à la participation de professionnels volontaires. Elle est un des piliers du programme de reconquête de la langouste rouge. Les pêcheurs professionnels sont au coeur du programme.

Des langoustes juvéniles et de taille commerciale sont marquées puis remises à l’eau. Des marques unitaires classiques (de type « spaghetti ») sont couramment utilisées.

Les navires volontaires sont équipés de pieds à coulisse afin de mesurer la longueur céphalothoracique de la langouste. Il devra également sexer et marquer l’individu à l’aide d’un pistolet puis remplir les informations.
La recapture d’une langouste marquée peut être effectuée par de nombreux navires de pêche. Etape-clé pour la réussite de ces opérations de marquage-recapture, une communication large est assurée auprès des professionnels de la façade et auprès des pêcheurs plaisanciers, afin que les langoustes marquées recapturées soient recensées (localisation, biométrie et sexage) et que le retour d’information soit assuré.

Les marquages réalisés en 2015 se répartissent dans 3 zones géographiques (Cap Breton, mer d’Iroise et une zone au centre du Golfe de Gascogne). Du 15 février au 15 novembre 2015 (arrêt de l’enregistrement des données du projet), les navires ont marqué plus de 2300 langoustes. Le nombre de langoustes marquées est une estimation à minima puisque les bateaux sont toujours équipés du matériel de marquage et poursuivent l’opération.

Auto-échantillonnage (individus rejetés et retenus)
Cette action permet d’acquérir des données sur la biologie de l’espèce, en particulier la structure en taille des captures, le sexe ratio et la proportion de femelles grainées. Cette donnée saisie sur plusieurs années permet également d’aborder la dynamique d’un stock, notamment l’évolution du recrutement.
Des navires des quartiers de Paimpol et d’Audierne ont effectué des actions d’auto-échantillonnage de leurs captures de langouste ces deux dernières années, suite à la démarche initiée par la Commission nationale Crustacés et encouragée sur le terrain par les CDPMEM des Côtes d’Armor et du Finistère. Ce premier travail a permis de valider la démarche et de corriger les erreurs initiales. Le CDPMEM des Côtes d’Armor a d’ailleurs conforté cette opération pour 2014 avec trois navires volontaires.
A partir de l’expérience acquise, l’objectif est de conforter et d’étendre cette initiative sur les autres parties du littoral.

Afin de s’assurer que les opérations de marquage et d’auto-échantillonnage soient réalisées convenablement, une formation auprès des pêcheurs volontaires est nécessaire ; elle permet de se familiariser avec le matériel et le travail à mettre en place depuis le marquage, la mesure et la prise de notes précise des données.

Caractérisation de l’activité de pêche
Le travail d’amélioration de la connaissance du stock de langouste rouge ne peut être complet que si l’effort de pêche est connu et qualifié, or les données disponibles ne permettent pas de l’appréhender avec précision. La diminution du stock a entraîné un ciblage moins important par les fileyeurs. Aussi, entre la quantité de filet travaillée par les pêcheurs et la part ciblant la langouste a fortement évolué au cours des dernières années. Par ailleurs, les captures générées par d’autres types de navires, comme les chalutiers, sont très mal connues, compte-tenu du fait qu’il s’agit de captures occasionnelles et pour lesquelles les déclarations sont vraisemblablement incomplètes. Pourtant, des échanges avec les professionnels confirment que ces navires contribuent pour une part significative dans les captures de langouste rouge. Cette contribution peut être accentuée dans la situation actuelle du stock.
Ainsi, sur ces deux aspects, il est proposé de réaliser des entretiens auprès des pêcheurs susceptibles de capturer de la langouste rouge en vue de mieux caractériser leur effort de pêche et d’estimer leur distribution spatiale.

Connaissance des habitats de la langouste rouge
L’objectif de cette action est de tester la transposition de la méthodologie d’enquête sur la connaissance des pêcheurs en prenant l’exemple de la méthodologie appliquée sur le bar pour l’adapter à la langouste. En effet, à l’instar de ce qui a été réalisé sur le bar par le CNPM et Ifremer, ces enquêtes visent à déterminer, avec l’appui de pêcheurs professionnels, quels sont les habitats-clé pour l’espèce (zones où se concentrent les reproducteurs, les femelles grainées, les juvéniles…) dans les principaux secteurs de pêche (Baie de Granville, Bretagne Nord, Iroise, sud Belle Ile, Rochebonne…).
Le recensement et la bonne connaissance de ces habitats essentiels pour l’espèce revêtent un fort intérêt scientifique, dans la mesure où de telles données permettent d’aider à la définition des populations et donc d’améliorer la connaissance du stock.

Communication

La première étape consiste à faire connaître le projet à l’ensemble de la communauté de pêcheurs et la manière dont les actions se mettent en place sur le terrain (localisation et nombre de pêcheurs impliqués) et l’implication de chacun dans sa réussite, notamment par le retour de l’information sur toute langouste marquée.
La seconde étape consiste à fournir de manière régulière les informations sur le déploiement des marquages (lieu, nombre, taille) afin de montrer la mise en place du projet et de maintenir l’attention et l’intérêt des professionnels.
Enfin, la troisième étape consiste à fournir les résultats obtenus dans les différentes actions d’une manière régulière, à travers différents supports :

Expérimenter une méthode basée sur la sociologie de la traduction et de l’innovation
Même s’il ne faut pas négliger les facteurs environnementaux, les pêcheurs portent leur part de responsabilité dans la situation du stock de langouste rouge. Ils le reconnaissent et souhaitent la reconquête de ce stock, ce qui conforte leur légitimité en tant que gestionnaires de l’environnement.
En partant du postulat que la seule approche biologique n’arrive pas au résultat escompté et en s’appuyant sur les travaux menés sur la pêcherie de langoustine du golfe de Gascogne dans les années 2000, sera testée une méthode basée sur la sociologie de la traduction et de l’innovation comme socle de la reconquête de la langouste et modèle de gestion du stock.

Une campagne d’une trentaine d’interviews a été menée par des sociologues auprès d’acteurs diversifiés de la pêche à la langouste rouge investis ou non dans le présent programme
occupant par ailleurs, pour nombre d’entre eux, une position centrale dans l’histoire de la pêche à la langouste. Le guide d’entretien était également large dans
ces thèmes. Il abordait à travers la restitution de la trajectoire professionnelle des pêcheurs, l’histoire de la pêcherie et les causes de sa déshérence, leurs modes d’inscription et son évolution dans les communautés de pêches, leurs perceptions du programme LRR, leurs liens avec les scientifiques et avec leurs instances de
gouvernance professionnelle.

Résultats

Amélioration des connaissances halieutiques : biologie/écologie et pêche
Marquage/recapture de langoustes

Outre l’origine géographique des navires qui ont participé au projet, la répartition apporte une réelle information sur la distribution géographique de la présence de
la langouste rouge. En effet, aujourd’hui, la commercialisation des langoustes par les pêcheurs est principalement le fait de navires bretons et plus particulièrement des quartiers du Finistère. Plus au sud, les débarquements dans les ports de Quiberon, du Croisic, de Noirmoutier ou de l’île d’Yeu sont aujourd’hui quasiment nuls alors qu’une réelle pêcherie existait auparavant. Le marquage au large de ces zones, atteste de la présence de langoustes là où elle était supposée être absente aujourd’hui. Au niveau de Cap Breton, une petite pêcherie est présente, elle se situe au niveau des accores rocheux présent le long du Gouf.

La prise en compte de toutes les tailles des langoustes marquées permet de voir que les langoustes sous taille ont une distribution assez large. Ainsi les plus petites tailles sont autour de 50 mm de Lc. Pour autant, la majorité des langoustes ont une taille comprise entre 80 et 110 mm (Figure 5). Les langoustes de taille commerciale sont celles qui ont été achetées et relâchées.

Au cours de l’année 2015, le nombre de langoustes recapturées s’élève à 53 ce qui correspond à un taux de recapture d’environ 5%. En considérant des études similaires, ce taux est tout à fait correct. Il faut noter que certaines de ces recaptures ont eu lieu moins de 10 jours après les avoir remises à l’eau par les mêmes bateaux.

A ce stade pour les deux zones, les trajectoires observées sont de deux types :
– Déplacement entre le large et la côte et inversement. Un déplacement de ce type a eu lieu dans le golfe de Gascogne et plusieurs en mer d’Iroise. Ils pourraient refléter des migrations bathymétriques en lien avec la saison et les conditions d’environnement.
– Déplacement sur le plateau, en restant dans les mêmes zones bathymétriques et qui pourraient être assimilé à de vraies migrations sans retour. L’aspect saisonnier est pour le moment difficile à établir d’une manière claire.

Aussi sur un tel programme, les résultats ne seront exploitables que sur le long terme.

L’estimation d’une loi de croissance pour la langouste constitue un point fondamental afin de garantir une gestion optimale de cette espèce. Ce  travail nécessite de récupérer un nombre suffisant de langoustes ayant un temps de liberté conséquent au cours duquel elles ont pu  réaliser une ou plusieurs mues. Cependant, les données de cette qualité (avec accroissement de taille) sont encore faibles aujourd’hui. En effet, dans les tailles considérées, il n’y a qu’une seule mue au plus par an. Aussi sur un tel programme, les résultats ne seront exploitables que sur le long terme. Les ordres de grandeur de l’accroissement à la mue (Figure 12) sont autour de 12 à 15 % de la taille céphalothoracique, soit des gains de taille de 10 à 15 mm pour des individus de 80 à 115 mm.

 

Sociologie de la traduction et de l’innovation

Une lecture des entretiens réalisés consiste à positionner chacun des acteurs individuels interviewés sur deux axes. Un premier, vertical, classe les acteurs en
fonction de l’intérêt qu’ils portent à la reconstitution du stock de langoustes rouges. Un second axe, horizontal, ordonne ces mêmes acteurs en fonction de leur confiance à l’égard des organes de gouvernance dans leur capacité à réguler la pêche à la langouste en vue de la reconstitution du stock. Cette répartition des acteurs permet non seulement de les positionner sur une grille à deux dimensions mais également de repérer des groupes d’acteurs marqués par leur proximité et comprendre les interactions qu’ils entretiennent entre eux.

En ce qui concerne les pêcheurs, 4 groupes peuvent être identifiés
– Un groupe situé dans le cadrant nord-ouest : ce groupe est le plus important. Il comprend de nombreux fileyeurs pour lesquels la langouste rouge représente une part significative de leur chiffre d’affaires (autour de 10 % et jusqu’à 30 % pour l’un d’entre eux). On y retrouve principalement une population jeune qui estime qu’il est de son intérêt de favoriser la reconstitution du stock. La population située dans ce cadran se trouve, cependant, dans une situation un peu instable. En effet si elle accorde de l’importance à la protection de la langouste rouge, elle est réticente ou indifférente à l’égard de l’action des organes de gouvernance en ce qui concerne la reconstitution du stock de langoustes rouges. Ceux-ci sont souvent considérés comme lointains et peu à l’écoute du terrain au point qu’ils peuvent prendre des décisions considérées comme contre-productives.
– Un deuxième groupe situé dans le cadran nord-est : il s’agit de pêcheurs considérant qu’il est important de protéger la langouste rouge mais pour lesquels la capture de langoustes est très accessoire. Le plus souvent, ils estiment que, si le stock est dans l’état qui est décrit, il est hautement souhaitable de fermer la pêche à la langouste pendant plusieurs années. Ils prennent comme exemple la fermeture de la pêche à l’anchois.
– Un troisième groupe se positionne au centre du graphique. Ce sont des pêcheurs, maintenant à la retraite, pour lesquels, lorsqu’ils étaient en activité, la question de la
protection de la langouste et celle de l’intervention des organes de gouvernance ne se posaient pas puisque la ressource était abondante.
– Enfin un quatrième groupe, dans le quart sud-ouest rassemble des pêcheurs au comportement plutôt opportuniste : il s’agit soit de pêcheurs ne respectant pas la
réglementation soit de pêcheurs profitant de ses imperfections.
En ce qui concerne les organes de gouvernance (dirigeants des comités des pêches, gestionnaires du Parc marin et dans une moindre mesure des scientifiques). Deux groupes se détachent.
– l’un, comme cela est attendu, se situe haut dans le cadran nord-est : ses membres sont fortement attachés à la préservation de la langouste tout en ayant une attitude positive à l’égard de leur propre intervention.
– dans l’autre, on trouve des (ex)membres des organes de gouvernance dans le cadran nord- ouest. Ils estiment que les avis des scientifiques ne sont pas suivis ou que les scientifiques et les décisionnaires agissent trop peu et/ou trop tard. Cela vaut pour la langouste rouge mais, également, à leurs yeux, pour d’autres espèces telles que le bar. La méfiance vis-à-vis des organes de gouvernance professionnelle est liée, selon les pêcheurs, à une insuffisante prise en compte des savoirs empiriques des pêcheurs locaux et de leurs compétences en matière de gestion fine de la pêcherie.
En ce qui concerne le circuit de distribution (criées et mareyeurs), il faut noter que, de façon intéressante, la ligne de partage passe à l’intérieur du groupe des mareyeurs et de celui des criées.
– Un premier groupe (composé de criées mais aussi de mareyeurs), situé le plus au nord, adopte une attitude proactive en proposant des solutions permettant de remettre à l’eau les langoustes hors taille commerciale.
– Le second groupe situé le plus au sud adopte une attitude à minima sur la protection de la langouste : la criée rend aux pêcheurs les langoustes non-commercialisables et les mareyeurs estiment qu’à partir de 600 g les langoustes sont commercialisables (ce qui n’est pas le cas pour les langoustes rouges pêchées en Atlantique, en France). Certains mareyeurs jouent également de la complexité de la législation puisque les langoustes rouges débarquées en Bretagne, sur les côtes de la Manche ou en Irlande ne peuvent être commercialisées qu’à partir de 11 cm au moins alors que les langoustes rouges en provenance de la Méditerranée (côtes françaises inclus), d’Espagne ou du Portugal le sont à partir de 9 cm. Une fois rendues à Rungis, aucun trait morphologique incontestable ne permet d’indiquer l’origine des langoustes proposées à la vente.

Le positionnement des acteurs sur cette grille permet de suggérer des actions visant à consolider le réseau LRR. Les actions les plus importantes visent les acteurs du cadran nord-ouest puisque ces derniers marquent un intérêt fort pour la reconstitution du stock de langoustes tout en étant réticents à l’égard des organes de gouvernance. Deux types d’actions peuvent être envisagés en direction de ces acteurs et plus particulièrement des pêcheurs. D’une part il est nécessaire qu’ils ne basculent pas vers le cadran sud-ouest (zone rouge). Si trop de pêcheurs apparaissent, à tort ou à raison, être des fraudeurs ou des opportunistes, des
pêcheurs hésitants sur la conduite à tenir peuvent se sentir attirer par un comportement de “passager clandestin” du type “pas vu, pas pris”. La lutte contre la pêche illégale (pêcheurs dans le cadran sud-ouest), représente tout autant une action opérationnelle (accroître le stock) qu’une action symbolique puisqu’elle manifeste, aux yeux de tous les acteurs, l’importance donnée à la réussite du programme LRR. D’autre part, il apparaît souhaitable que ces acteurs du cadran nord-ouest se rapprochent du cadran nord-est. Le programme LRR est l’un des programmes qui peut contribuer à cette migration : implication des pêcheurs marqueurs et retour d’informations. Par ailleurs, les pêcheurs qui ciblent la langouste estiment, à tort ou à raison, que leurs voix ne sont pas entendues et qu’ils sont peu représentés dans les instances de décision. Il doit être possible de dissiper de telles objections assez facilement.

L’économie des biens communs offrent des éclairages complémentaires sur les conditions requises pour l’établissement de régulations touchant ces types de biens dont devraient tenir compte les actants engagés dans une démarche de sociologie de l’innovation.

L’autorité peut être soit l’État (par des réglementations) soit le marché (par les quotas individuels transmissibles). En rupture avec cette pensée dominante, Ostrom a formulé une hypothèse forte : des ressources naturelles renouvelables peuvent être durablement gérées par les “appropriateurs” eux-mêmes (et leurs représentants). Il s’agit-là typiquement de la problématique de la reconstitution du stock de langoustes rouges dans le cadre de LRR. Ostrom a cherché à vérifier son hypothèse en
s’appuyant sur une démarche empirique qui prend appui sur une quinzaine d’expériences dans des domaines d’activités très différents : des pâtures, des systèmes d’irrigation, des pêcheries… Ceux-ci ont pour point commun d’être des ressources naturelles renouvelables et de faire l’objet d’une régulation par les” appropriateurs” eux-mêmes et la force qu’elle peut donner aux utilisateurs de la ressource collective. Tout comme Callon, elle souligne combien l’articulation entre des niveaux, l’un global et l’autre local, doit pouvoir s’établir de façon souple et adaptée. Enfin, l’implication des pêcheurs dans le triptyque réglementation / sanction / mécanismes de résolution des conflits est l’une des voies possibles permettant de rendre le réseau plus stable et plus dense tout en favorisant l’établissement de liens horizontaux dans ce réseau.

Perspectives

La mise en place de ce programme par et pour les pêcheurs fait l’unanimité générale tout au long de la façade maritime Manche et Atlantique. La mobilisation des professionnels se fait de plus en plus importante. Il va falloir continuer à faire du « porte à porte » pour essayer de couvrir de façon homogène le périmètre défini entre Cherbourg et St Jean De Luz. Il va de soit que nous devons continuer à travailler dans ce sens (sans doute au moins 10 ans) pour vraiment récolter les premiers fruits de du travail réalisé, de commencer à observer une apparence de reconquête de stock. Bien entendu, il est et sera nécessaire de réfléchir activement à une nouvelle façon de gérer ce stock et donc une nouvelle façon de gérer cette pêcherie.
Le programme langouste rouge 1 a donné naissance à un programme langouste rouge 2 pour l’année 2016 permettra de continuer les marquages de langoustes, les auto-échantillonnages mais aussi de se pencher davantage sur la partie commercialisation et valorisation du produit. De nombreux restaurateurs aiment afficher sur leur carte de nombreux plats à base de langouste. Un dialogue entre les producteurs et des restaurateurs de notoriété publique permettrait aussi une cohérence entre la gestion et le marché.

Thématique du projet

Connaissance des ressources et des écosystèmes

Statut du projet

Terminé : 01/01/2014 - 01/01/2015

Zones

Mer du Nord, Manche et mers celtiques, Golfe de Gascogne

Localisation

De Cherbourg à Ciboure

Espèce

Langouste rouge

Porteur du projet

CDPMEM FinistèreCDPMEM Finistère

Partenaires

CG FinistèreCG Finistère

Région BretagneRégion Bretagne

IFREMERIFREMER

Financeur

France Filière PêcheFrance Filière Pêche